Une trentaine de fois par jour, le Dr Stéphane Carrier, interniste à l’Hôpital de Jonquière (Canada), se retire dans son bureau. Pendant une, deux ou trois minutes, il médite, puis retourne vaquer à ses occupations avec toute l’écoute et l’ouverture que ses patients lui connaissent. Le Dr Stéphane Carrier, est un adepte de la méditation de pleine conscience. Cette technique, dont il a fait la découverte il y a sept ans, peut paraître un brin ésotérique pour quiconque n’en connaît pas les tenants et aboutissants. Mais la méditation de pleine conscience est maintenant enseignée dans les facultés de médecine et compte de plus en plus d’adeptes au sein de la profession médicale.
À l’Université de Montréal et à l’Université McGill, la méditation pleine conscience fait partie du cursus et est obligatoire pour tous les étudiants. Le programme de médecine offert à Chicoutimi est chapeauté par l’Université de Sherbrooke. La direction a plutôt fait le choix d’offrir la pleine conscience de façon optionnelle aux étudiants.
Le Dr Carrier, qui enseigne aux futurs médecins en région, agit comme précurseur à ce chapitre avec sa collègue Catherine Morin. Les deux médecins jonquiérois ont obtenu une formation à Boston et appliquent les fondements de la pleine conscience dans leur pratique quotidienne. Adaptée de l’approche du Mindfulness-Based Stress Reduction Programm (MBSRP), développée par l’Américain Jon Kabat-Zinn, cette méthode vise à cultiver une présence attentionnée et à prendre le recul nécessaire pour une meilleure prise de décision. En termes plus simples, il s’agit de prendre conscience du moment présent et de faire le ménage dans ses idées. Cette façon de faire prône le détachement par rapport à certaines situations pour mieux les accueillir, puis les analyser. C’est une philosophie complètement détachée de la religion, que le Dr Stéphane Carrier décrit à la fois comme «athée et scientifique».
« La pleine conscience est une conscience de tous les instants qui ne porte pas de jugements. C’est l’observation du flot continu des stimuli internes et externes tels qu’ils surgissent. Cela permet d’avoir l’esprit plus clair et moins encombré », met en contexte celui qui pratique la médecine depuis une trentaine d’années. C’est à la suite d’un écueil personnel que le Dr Carrier a découvert la méditation de pleine conscience, une philosophie inspirée d’enseignements anciens. Depuis qu’il pratique la pleine conscience, il estime être devenu un meilleur médecin, plus empathique.
« C’est beaucoup une façon d’être. Tu dois d’abord l’appliquer à toi-même. Je suis un meilleur clinicien depuis que je fais cela. Le raisonnement clinique est dépendant de la santé mentale et émotive. La pleine conscience te fait réaliser que tu es un humain et te permet d’entrer en relation avec l’autre. Tu te mets dans la peau du patient et tu te dis : « De quoi a-t-il peur? Quelles sont ses préoccupations ? », explique le Dr Carrier. Il ajoute que cette culture de la présence attentive permet de «se connecter» avec les craintes du patient.
Le Dr Stéphane Carrier croit que la prochaine révolution en médecine gravitera autour de la «mindfulness». À court terme, il aimerait offrir un programme de formation en méditation de pleine conscience à certains groupes de patients. Des discussions sont en cours avec la direction du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) à ce sujet et l’ouverture semble y être. Il estime que la pratique de la méditation serait bénéfique pour plusieurs catégories de patients, notamment ceux aux prises avec des maladies chroniques.
À son bureau, Stéphane Carrier a même tenté l’expérience avec une patiente. « Je sentais que l’objectif de cette femme était d’augmenter ses pilules. » Je lui ai dit : « Aujourd’hui, j’aurais le goût de vous offrir un cadeau. Connaissez-vous la méditation pleine conscience ? », relate-t-il. Selon ce que raconte le médecin, au bout de trois minutes, la dame en voulait plus. Au lieu d’une nouvelle prescription, elle est repartie avec un audiolivre sous le bras.
Science :
De plus en plus d’études scientifiques démontrent les bienfaits de la méditation de pleine conscience, fait valoir le Dr Carrier. « Ce n’est pas juste une affaire ésotérique. Il y a 40 000 cliniques et hôpitaux en Amérique du Nord qui offrent cela et il y a des recommandations dans les guides de pratique en médecine à ce sujet, notamment pour la dépression et les traumatismes crâniens. » À quelques reprises déjà, l’interniste et des collègues ont donné des formations à des employés de l’hôpital de Jonquière, le tout avec succès. Le spécialiste estime qu’écouter le contexte et le patient, être présent à lui et à soi, sont garants de l’amélioration de la pratique médicale.
« La prochaine révolution en médecine, c’est cette maîtrise d’un esprit clair et plus présent. On a beau avoir les meilleurs outils diagnostiques ou les médicaments les plus avancés technologiquement, cela ne donne pas grand-chose si on n’a pas répondu à la demande du patient ou celle qu’exige le contexte », enchaîne Stéphane Carrier.
Tabous :
« A ses balbutiements, la méditation de pleine conscience faisait sourciller. Ses adeptes, comme Stéphane Carrier, étaient confrontés à certains jugements et à quelques tabous.
« Au début, on faisait cela un peu en cachette et j’avais peur des réactions de mes collègues. Mais à ma grande surprise, ceux qui semblaient les plus réfractaires et les plus rigides se sont montrés les plus intéressés », confie celui qui note l’intérêt grandissant de nombreux confrères à l’égard de cette approche fondée sur l’importance de « Se mettre au clair avec soi-même » et de chasser l’habitude du «pilote automatique».
Sentir les émotions du patient :
Au sujet de l’empathie, le Dr Stéphane Carrier observe que plus les étudiants en médecine avancent dans leur formation, plus cette capacité de percevoir les sentiments et les émotions du patient se perdent. Avoir le recul, le souci de l’équilibre et être à l’écoute de sa petite voix intérieure. Voilà certains outils qui permettent aux cliniciens de mieux se connecter avec le patient et d’aborder la médecine de façon holistique, en impliquant à la fois le corps et l’esprit.
« Cette démarche permet d’élever le niveau d’empathie du médecin et l’acuité dans la pose d’un diagnostic. J’en suis convaincu. Tu as beau avoir la meilleure médication au monde, si tu n’as pas été à l’écoute, tu es passé à côté de la »track ». La pleine conscience permet aussi d’avoir des médecins plus équilibrés, mieux outillés pour prendre soin des autres « , signale le spécialiste en médecine interne à l’hôpital de Jonquière.
Mélyssa Gagnon, in Le Quotidien (Canada), 19/03/17